Quel élément déclencheur vous a permis de vous affirmer en tant qu’architecte ?
Je ne me retrouvais pas dans le vocabulaire architectural qui était employé en Belgique à l’époque de mes études à Saint-Luc à Bruxelles, que j’ai terminées en 1983. Je lui préférais l’architecture moderne telle qu’elle fut entamée par les architectes belges au début du 20ème siècle. Je suis donc parti à l’étranger afin de pratiquer l’architecture que je voulais faire et j’en suis revenu avec une vision. Voyager et travailler dans d’autres pays que la Belgique m’ont permis de trouver ma voie et de définir mon propre ADN architectural. Aujourd’hui, je me trouve à un moment charnière dans ma carrière. Dans les jours qui suivent, j’ouvrirai la structure à des collaborateurs plus jeunes de l’agence.
Quel est votre mantra et comment celui-ci a-t-il évolué ?
« L’abolition de toute forme de décoration au bénéfice de la justesse des proportions ». Je le répète presque tous les jours depuis mes débuts. Au début de mon activité et ce, pendant une vingtaine d’années, je répondais aux commandes avec les mêmes matériaux que ceux utilisés au début du siècle dernier, à savoir principalement des cimentages extérieurs et des plafonnages intérieurs, mise à part la technique de pose afin de répondre aux exigences du moment. C’était un bon exercice : il répondait aux soucis de maîtrise des budgets car cette manière de construire était peu onéreuse et performante. L’esthétique était liée à une excellente isolation du bâti. Après ces années de pratique, je me suis efforcé d’aller plus loin dans la réflexion et la concrétisation de l’architecture ; l’Atelier d’Architecture Bruno Erpicum et Partenaires a revisité une fois encore les préceptes de l’architecture moderne et y a enlevé ce qui n’était pas nécessaire pour plus de performance, de beauté et de pérennité… Une ode au temps qui passe. En d’autres mots, nous avons remplacé tous les matériaux qui vieillissent, comme le cimentage et le plafonnage, par des matériaux qui bonifient avec le temps et se patinent ; béton, pierres et bois, à l’intérieur tout comme à l’extérieur.
Quels sont ainsi les avantages de vos constructions ?
Ce sont des bâtiments qui, en été comme en hiver, peuvent présenter des aspects très zen ou bucoliques quand la mousse ou encore la végétation s’y développent et s’y frottent au gré de l’ombre et de la lumière. L’architecture et le paysage deviennent donc une même expression architecturale. Nous travaillons avec cet objectif : sublimer notre environnement direct par l’architecture, faire en sorte qu’un bâtiment soit comme notre seconde peau.
Quelle importance accordez-vous au travail en équipe au sein d’Erpicum ?
Nous avons toujours privilégié le contact humain, chaque projet est le résultat de nombreux échanges, nous faisons ce que nous appelons du « ping pong » avec les avant-projets, ils bonifient au cours de ces échanges. Par la suite, la parfaite compréhension des artisans qui réalisent le travail sur nos chantiers est essentielle. C’est eux qui réalisent et qui bâtissent. Aujourd’hui, plus j’avance plus que je me dis que lorsque nous avons terminé un projet, la nature doit reprendre ses droits. Ce qui importe n’est pas le bâti, mais son environnement et la vie qui s’y déroule.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration dans l’architecture moderne ?
Comme déjà mentionné, j’ai appris des pionniers de l’Architecture Moderne Belges tels que Louis Herman De Koning, Henry Van de Velde ou Marcel Leborgne. Très jeune, j’ai eu également la chance de pouvoir voyager au gré de l’activité professionnelle de mon papa, navigateur à la Sabena. Je sautais dans les avions. Parfois, j’étais même bloqué dans une ville ou un aéroport, ce qui m’a permis d’être très curieux et de vivre un temps au contact d’une culture étrangère. A ces occasions, j’ai visité de nombreux bâtiments de Frank Lloyd Wright aux États-Unis – l’œuvre de cet architecte est l’une de mes inspirations clés –, ainsi que le fameux Pavillon de Mies van der Rohe à Barcelone, dessiné à l’origine en 1929 et reconstitué en 1986.
Que retenez-vous de ces œuvres majeures ?
Les contraintes ne peuvent être des excuses pour ne pas évoluer, ce sont des challenges, des incitations à progresser. En tant qu’architecte, la technique est à notre disposition et l’architecte se doit de l’intégrer parfaitement dans le bâti, allant même jusqu’à la faire disparaître pour mieux se l’approprier. Frank Lloyd Wright et Mies van der Rohe furent des architectes extrêmement exigeants et avec des vocabulaires singuliers. Dessiner et concevoir une architecture permet de répondre à des besoins privés, urbanistiques ou encore environnementaux mais répondre à ces exigences est tout aussi important que définir sa propre signature. L’architecture doit être essentielle, elle doit être magnifique à tous les niveaux, de la conception du bâtiment à la mise au point du moindre détail comme un robinet ou un interrupteur…
Est-ce l’une des raisons pour lesquelles vous produisez de plus en plus vos propres accessoires et meubles pour l’aménagement intérieur ?
Au début, nous dessinions ces produits de manière sporadique d’abord pour des demandes précises à l’occasion d’un chantier et ensuite pour nous. Ces produits étaient pensés pour être réalisés de manière artisanale, aux confins de l’industrie. L’architecture que nous créons est unique, comme tous les détails qui la composent. Chacune de ces réalisations résulte d’un dialogue et d’un partenariat entre Erpicum, des artisans et des ouvriers. Par la suite, nous avons voulu ouvrir ces produits au plus grand nombre, nous nous sommes ouverts aux industriels et aux grands distributeurs. Le fait d’être confronté au monde du design industriel et ses spécificités ouvre sur des défis intéressants. Panneaux coulissants, portes sur pivots (Plane by Anohid), luminaires (Orbital by TAL), bureaux, tables (V Table) et robinets (Opus by CEA)… nous ne nous limitons pas. Je pense à l’architecte Victor Horta qui au 19ème siècle accompagnait ses clients jusque dans le choix des accessoires de maisons, tissus d’ameublement et même arts de la table… En 2004, nous avons par exemple réalisé le premier interrupteur sans cadre pour, enfin, l’industrialiser et le distribuer une décennie plus tard avec le fabricant Atelier Luxus (DOT by Erpicum).
À quoi ressemble votre travail sur le terrain ?
Nous embrassons véritablement l’art de bâtir, des débuts de la conception jusqu’au processus de la construction. Les ouvriers avec qui nous travaillons sont des personnes magnifiques, curieuses et ayant soif de bien faire. Pour la maison Hi-Fi réalisée en Belgique (2010), un béton particulier fut mis au point pour dialoguer avec l’écorce d’un chêne centenaire campé au centre du plan. Je peux vous dire que nous étions comme des enfants construisant des châteaux de sable au moment de son échantillonnage !
Quels furent les projets marquants de votre bureau d’architecture jusqu’à présent ?
La Casa Azul à Ibiza, qui correspond à la deuxième maison que j’ai réalisée sur cette île, j’avais 29 ans. Cela m’a permis d’entrer en contact avec Raymond Naumann, le cofondateur de VILLAS. Je l’ai voulue bleue, en hommage au paysage tel que je l’ai découvert au moment de la première visite du terrain. L’intégration des techniques et des composantes de l’architecture m’importait par la suite, la maison Les Heures Claires, érigée à Bruxelles en 2004, illustre cette volonté, comme les dormants des châssis qui sont intégrés dans le gros œuvre et demeurent ainsi invisibles. Cette maison est toujours très en avance sur son temps. Après cela, la pierre et le béton ont prédominé dans mes interventions. À partir de ce moment, j’ai poussé toujours plus loin l’art du béton – entre autres – pour en tirer toute sa substance, sa tenue, et le maîtriser entièrement. La maison Casa Forana en Corse (2009) est le reflet de cette aventure. La lumière vibre sur sa façade à l’instar des rochers qui coiffent le bâti. La poussière de la nature viendra se déposer sur les strates horizontales.
Et maintenant ?
Je pense enfin toucher ce que je voudrais que mon parcours de vie en tant qu’architecte illustre, à savoir la disparition même de l’architecture dans le paysage. Sur l’île d’Antiparos, en Grèce, la construction d’un ensemble de maisons ne se verra ni de la rue, ni de la mer. Une première réalisation que nous achevons à Paros, l’île voisine, illustre cette démarche. Enfin, nous ouvrons également ERPICUM HOME pour aider nos clients à meubler et décorer leur bien.
Que vous inspire votre environnement direct de travail ?
Je vis et travaille dans la banlieue Bruxelloise. L’évolution de la ville de Bruxelles, ma ville, ne m’apporte malheureusement pas l’enchantement qu’elle mérite, j’aimerais tellement la voir plus propre, mieux entretenue ; j’aimerais que tous les acteurs influents lui consacrent le soin qu’elle mérite. J’aimerais participer à cette embellie. Entretemps, j’ai plus de plaisir à me plonger dans la nature ou dans des contrées où la vie est plus organique, voire chaotique. Je me réjouis toujours de vivre auprès des arbres, et nous sommes gâtés en la matière dans la région de Bruxelles et alentours. La nature ne me déçoit jamais. La richesse des saisons et les différentes lumières si caractéristiques de notre pays m’élèvent.
Quels sont vos clients et que viennent-ils chercher chez Erpicum ?
Nos clients connaissent à priori notre travail, d’autres, nouveaux, cherchent une expertise particulière comme la lecture et la réponse que nous donnons au site, la qualité des espaces…, mais aussi un dialogue afin de concevoir la maison de leurs rêves. L’architecture découle d’un processus de travail lent où la patience est centrale. Ces clients sont sensibles à notre approche qui prend le temps pour exceller. A vrai dire, j’ai le sentiment que nous les emportons.
Ouverture accrue de l’habitat vers l’extérieur, responsabilité environnementale… comment leurs demandes évoluent-elles ?
L’exigence de nos clients est importante à cet égard et, selon leurs moyens financiers, nous nous efforçons de répondre le mieux possible à ces exigences. En interne, nous nous sommes donnés le mot d’ordre suivant : « devancer les règles, et non plus les subir ».
En plus des exigences d’isolation et des nombreuses réponses techniques, nous interrogeons continuellement nos techniciens, gestionnaires et spécialistes des datas pour faire en sorte que toutes les techniques mises en place puissent dialoguer entre-elles, il s’agit là d’un réel défi mais aussi un gage d’efficacité.
Comment voyez-vous le futur de l’habitat ?
Habiter demain est un thème de réflexion récurent. Nous y travaillons. Je rejoins ici mes confrères architectes en Italie ou encore en France, pour un territoire respecté, non plus envahi [par les habitations NDLR), une utilisation des ressources avec parcimonie, des villes avec de véritables services offerts aux citoyens, des bâtiments autosuffisants et performants ou la nature trouve la place qu’elle mérite. Puissent les politiques intégrer ces valeurs au sein des prescriptions qu’il nous faut suivre.