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Lorsque l’on parle d’Asie, c’est un monde de mythes et légendes qui s’ouvre à vous. Il faut être patient et connaître les coutumes, même si Didier Delville s’avoue asiatique dans l’âme. Les premiers voyages en Inde, en Thaïlande et dans le sud-ouest asiatique, lui ont confirmé son attachement viscéral à cette région du monde. Le Japon est un continent à lui seul et l’on n’y pénètre pas sans une certaine dose d’humilité. Son instinct ne l’a pas trompé, il a vécu une véritable reconnexion. Le bouddhisme fait partie de ses croyances ainsi que le cycle perpétuel de la vie. L’évidence que sa place était là où sa sensibilité rejoint le savoir ancestral. Ce qui est fondamental dans la céramique japonaise, c’est l’unique relation entre la tradition et l’innovation. Il existe une tension extraordinaire entre ces deux termes. Une tradition centenaire qui ressurgit après la seconde guerre mondiale d’un côté et une réappropriation de ces techniques en les impliquant dans la création d’un nouveau langage formel.
Le concept du MĀ d’Hashimoto Tomonari
Hashimoto Tomonari a été son premier coup de foudre. « J’ai acquis cette pièce par instinct, la forme m’a parlé tout de suite ». L’artiste a donné une nouvelle direction à son travail d’antiquaire et l’a orienté vers une céramique peu fonctionnelle et surtout sculpturale. On y voit une évocation du jardin zen, des pierres dans les graviers blancs comme une métaphore des rochers. L’objet existe de par sa forme simple, organique. La notion du vide de même que la notion du MĀ, l’équilibre en toute chose, est présente en dehors de la religion ou de la spiritualité. Ce qui se passe à côté, l’invisible, les flux d’énergies, l’ensemble se résume en une forme pure. Ce sont des piliers de la céramique japonaise. Hashimoto Tomonari a vécu parmi les sculptures en bronze de son père. Il est donc attaché à l’objet ancien et est un fervent admirateur de la nature : « Il chéri l’objet tel qu’il existe autant que l’espace qu’il occupe ».
La tradition Hagi de Kaneta Masaneo
Kaneta Masaneo sort le médium céramique du tour de potier. C’est l’un des noms les plus connus et les plus facilement identifiables de la tradition Hagi. Potier depuis la huitième génération, il surpasse cet héritage pour créer une œuvre sculpturale. En utilisant les glaçures Hagi, blanc-rose ou grises, vieilles de plusieurs siècles, Kaneta crée des objets, fonctionnels ou non, aisément reconnaissables. Sa formation de sculpteur alliée à celle de potier, lui permet de donner naissance à des formes dont la présence accentue le côté dramatique. Il utilise la technique de Kurinuki qui consiste à créer en travaillant à la main un bloc d’argile. Son habileté reconnue lui permet d’insérer une réelle tension entre la forme et la fonction, la tradition et l’innovation technique. Les courbes sinueuses, les pics aigus, les gorges profondes et les rochers “couverts de neige” s’apparentent au paysage de montagne entourant sa maison de Hagi, au Japon. Cette ville est un important centre de céramique depuis l’arrivée des potiers coréens il y a plus de quatre cents ans. Sa technique magistrale reste, à ce jour, inégalée.
L’incroyable dextérité de Kino Satoshi
Fasciné par le potentiel de la porcelaine cuite à se transformer en pierre lorsqu’elle est polie, Kino Satoshi a choisi de se concentrer sur ce médium. Contrairement à son aspect extérieur et aux formes obtenues, cette matière est plus résistante que la terre cuite. Cet artiste n’a pas 30 ans et possède déjà un savoir-faire de virtuose. Afin de pénétrer dans son univers, il nous guide au fil des titres : Choseki, mouvement de l’eau à la pleine lune, Oroshi, mouvement du vent entre les montagnes, Ravines, failles terrestres. Ses titres nous ouvrent des voies imaginaires. Après le séchage, il ponce soigneusement l’ensemble de l’œuvre avant la cuisson du biscuit. Il applique ensuite une peinture translucide de couleur blanc bleuté (Seihakuji) à l’aide d’un compresseur qui suivra une cuisson finale dans une atmosphère réductrice. L’artiste accorde à son processus unique, la capacité d’intégrer les œuvres dans l’espace environnant, puisqu’il s’inspire de la nature, en particulier des phases de la lune.
Les bols méditatifs de Mami Kato
En 2015, Mami Kato est la première femme à remporter le célèbre concours Shoroku Chawan. Cette artiste possède une maturité qui a peaufiné ses gestes depuis près de 50 ans. Cet objet d’envergure muséale a été sélectionné à la 9ème biennale de Kikuchi organisée par le Musée Tomo (Tokyo). L’œuvre possède une présence physique indéniable mais le plus important c’est le vide qu’elle contient. Si on la regarde attentivement, elle projette notre subconscient dans ce néant. Côté technique, l’artiste ajoute une glaçure naturelle proche du céladon. Cette couleur si particulière est quelquefois perturbée par l’intégration de coquillages lors du processus créatif. Ceux-ci provoquent des flashes rouges en surface. Son père, archéologue, lui a transmis la passion de l’objet ancien. Entre des mains expérimentées, le bol devient une sculpture emprisonnant l’air en son sein. La vision est permutée puisqu’ il évolue en réceptacle visible de l’invisible.
Courtesy Didier Delville- https://d-oh.viewbook.com/d-oh/home