Sommaire
Retour sur la carrière exceptionnelle de cette bâtisseuse au caractère humaniste et visite de ce lieu historique.
Les fondations du style Lina Bo Bardi : démocratie, innovation et élégance
Le plan d’une architecte pour la modernité
Lina Bo Bardi (1944-1992) est originaire de Rome. Elle s’installe à la fin des années trente à Milan, où elle rencontre le très influent architecte, décorateur et designer Gio Ponti. Après un moment à la codirection de la revue Domus, elle embarque pour le Brésil avec son mari Pietro Maria Bardi. Ils s’installent dans une maison qu’elle pense et fait construire en 1951. La Casa de Vidro est sa toute première réalisation.
Si la pratique de Lina Bo Bardi est raccrochée au mouvement moderne, ses réalisations sont à part dans le paysage architectural de São Paulo tel qu’il se construit après la Seconde guerre mondiale. Avant qu’elle devienne la capitale économique du Brésil, la ville est le terrain d’expérimentations d’architectes et paysagistes venus d’Europe. Ces derniers y mettent en œuvre leurs concepts. En 1928, le Rationaliste russe Gregori Warchavchik réalise la Casa Modernista, premier exemple d’architecture moderniste de la ville. Il faut attendre 1953 pour que les Brésiliens Oswaldo Arthur Bratke, Roberto Burle Marx et Oscar Niemeyer s’illustrent avec la résidence Oscar Americano et le parc Ibirapuera et ses édifices publics. Ces avancées ouvrent aussi la voie à une reconnaissance des racines afro-brésiliennes et des cultures populaires locales. Elles inspirent Lina Bo Bardi.
Unique en son genre, la Casa de Vidro pose les bases du MASP, Musée d’art de São Paulo (1957-1968), puis le complexe culturel SESC Pompeia (1977-1986). Ceux-ci élèvent Lina Bo Bardi en un maître d’œuvre incontournable qui implante sa vision véritablement innovante de l’architecture avec un style fort et une utilité sociale réelle. Ainsi, le MASP consiste en un volume suspendu. La surélévation de son bâti brutaliste, au-dessus de la chaussée de l’une des principales artères paulistes, crée une place publique géante en dessous du musée. Dans celui-ci, les expositions sont présentées sur des plateaux en plan libre et non une succession de salles d’exposition : du jamais vu. De la même manière que la Casa de Vidro est en prise directe avec la nature, le MASP ne dresse aucun « mur » entre l’art et le public.
Le Lion d’or spécial à la mémoire de l’architecte italo-brésilienne qui a été décerné l’ouverture à la Biennale d’architecture de Venise 2021 marque une étape dans la reconnaissance de Lina Bo Bardi. « Sa carrière de designer activiste nous rappelle le rôle de l’architecte en tant que créateur de visions collectives », selon le commissaire principal de l’événement, l’architecte libanais Hashim Sarkis. « Lina Bo Bardi illustre également la persévérance de l’architecte dans les moments difficiles, (conflits, immigration…), sa capacité à rester créatif, généreux et optimiste. Ses bâtiments se distinguent par la manière dont ils rapprochent la nature, le vivant et la communauté. Entre ses mains, l’architecture devient un art du rassemblement. »
Fauteuils et mobilier de bureau : ses pièces essentielles
Exposant chaque année lors du Salone del Mobile, la galerie Nilufar de Nina Yashar est à la racine de la revitalisation actuelle de l’œuvre de Lina Bo Bardi, auparavant méconnue du grand public européen amateur de design. La fondatrice de cette enseigne influente a collectionné pendant plusieurs années les pièces du Studio d’Arte Palma, que l’architecte avait fondé avec son confrère italien Giancarlo Palanti. Nilufar expose régulièrement ces réalisations au design vernaculaire. Des chaises, chauffeuses, tables de travail et d’appoint qui forment l’union parfaite entre l’esprit rationaliste italien des fifties et des matériaux aux essences tropicale comme :
- les fauteuils bas P9 (1948) au piétement en bois de jacaranda. Ces modèles sont tapissés de velours. Leurs formes se déclinent aussi en fauteuils individuels et canapés en tissu ;
- la chaise de salle à manger C12 en bois de pau-marfim ou guatambu ;
- le tabouret en pin coupant (Pinus elliottii) produit pour l’aménagement intérieur du centre culturel SESC Pompeia à São Paulo :
- le fauteuil Tripé à la structure métallique et l’assise en cuir suspendue. Ce dernier est issu des archives de l’Instituto Bardi, gardien de la Casa de Vidro et de l’ensemble du travail de Lina Bo Bardi.
Casa de Vidro : l’aménagement d’une maison dans les arbres
Brutaliste, en verre et sur pilotis
La Casa de Vidro est considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture en Amérique latine au même titre que la Casa Luis Barragán à Mexico. Elle fut la première construction privée à voir le jour dans le quartier de Morumbi à São Paulo, une zone résidentielle créée dans une portion de la forêt enchanteresse de Mata Atlântica, en partie dévastée. En 1987, cette réalisation entre officiellement au patrimoine historique de l’État pauliste et devient un lieu de pèlerinage pour les amoureux du modernisme. Un paradis singulier que l’on vient découvrir de loin.
Souvent comparée, par sa structure en béton, acier et verre et sa transparence, à la Glass House (1949) de Philip Johnson dans le Connecticut américain, voire à son ancêtre, la Maison de verre (1928) de Pierre Chareau à Paris, la Casa de Vidro prend librement appui sur les standards de l’architecture moderne. Érigée sur un site naturel abrupt, elle repose sur des pilotis (un des cinq points de l’architecture moderne selon Le Corbusier et Pierre Jeanneret). Ceux-ci participent à l’élever au-dessus du terrain.
Espaces de vie et de travail dans une maison décloisonnée
L’entrée se fait par le dessous de la maison. Celle-ci se divise en deux parties, autour d’une cour où trône un arbre centenaire dont les racines encerclent les fondations du bâtiment. Au-devant, la partie principale, celle du living (totalement ouvert, tel un atelier d’artiste) offre d’amples baies vitrées et immerge le regard de l’hôte dans la jungle environnante.
L’intérieur de la Casa de Vidro est contrasté. La relative luminosité tout comme l’opacité qui y règne lui confère une sensation partagée de connexion au monde extérieur et d’intimité. Le décloisonnement de l’espace principal coexiste avec l’affectation précise donnée chacun des volumes (salon, bureau, salle à manger). Aucune bibliothèque séparée à signaler. Jadis, l’extraordinaire collection de livres anciens et rares des propriétaires envahissait les lieux à même le sol.
Architecte intéressée par les arts et l’anthropologie, Lina Bo Bardi a su ici mettre à profit son talent pluridisciplinaire. La Casa de Vidro a été pensée comme une « maison où cohabitent les cultures », selon les mots connus du couple Bardi. La demeure s’est en effet faite connaître en devenant un point de ralliement réputé dans le monde de l’art. Ateliers, invitation à des artistes étrangers de passage au Brésil… On pouvait par exemple y croiser le peintre et sculpteur Alexandre Calder.
Aujourd’hui, l’Instituto Bardi s’attache à réunir un ensemble représentatif du mobilier et des œuvres d’art de la maison, ainsi qu’un fonds d’environ 7 500 livres. Certains ont été offerts au Musée d’art de São Paulo. Et l’actuel soutien financier de l’éditeur de meubles brésiliens Etel Design, qui reproduit à l’identique des créations signées Bo Bardi, permet la conservation du patrimoine de la créatrice et sa chère casa.
Rua General Almério de Moura 200, Morumbi, São Paulo (Brésil)
Les visites sont réservables sur la page web officielle de la Casa de Vidro :
institutobardi.org