Interview de Patricia Urquiola, à l’œuvre pour le futur du design

 

Comment considérez-vous votre travail d’architecte et designer ?

L’architecture et le design, c’est ma vie, je n’arrête jamais de penser à mes projets.

J’adore travailler avec mon studio, le Studio Urquiola, depuis sa création en 2001. Je le considère comme un « studio communautaire ». Le vivre-ensemble est l’un des mes fondamentaux. Pour moi, le partage est crucial. C’est en partageant qu’un bon projet prend forme. Aussi, travailler à différentes échelles, du petit « d » du design industriel au grand « a » de l’architecture, m’aide à trouver des solutions intéressantes pour l’habitat, l’hôtellerie ou encore le retail.

Quelle est votre leitmotiv ?

Sans obsession et sans entêtement, vous ne pouvez pas innover.

Êtes-vous intéressée par les tendances ?

Fondamentalement, en tant que créatrice, je dois dire que je n’ai jamais été intéressée par les tendances. Mon travail se base sur la recherche, sur la façon dont j’interprète la contemporanéité, tout en essayant de créer des formes d’empathie ; exprimer l’humeur du temps ou d’un lieu.

D’où viennent vos inspirations ?

L’inspiration n’est pas quelque chose qui me vient quand je suis assise à mon bureau, elle provient de ma perception de ce qui m’entoure ; sentir l’air du temps, regarder les choses différemment…

Pensez-vous au devenir de vos créations ?

Lorsque je démarre un projet, je commence par échanger avec ceux qui travaillent avec moi. Ils savent que nous nous mettons en route pour une sorte de voyage dont nous ne connaissons pas encore le point d’arrivée. Chaque projet que je mène est donc unique et le temps décide ensuite de sa valeur, de sa pertinence. Je pense que la notion d’intemporalité est, elle, plutôt réservée aux meubles iconiques du design, qui ne sont pas des produits anodins puisqu’ils ont réussi à traverser plusieurs époques.

Comment travaillez-vous en tant que directrice artistique chez Cassina ?

Chez Cassina, je travaille en équipe à une réinterprétation intelligente des icônes du design. Cela signifie travailler en étroite collaboration avec les fondations et les ayants droits des designers et avec les archives de l’éditeur pour faire revenir les classiques sur le devant de la scène, tout en les tournant vers un nouveau public.

C’est en les interprétant par des technologies de pointe et avec des matériaux durables qu’ils redeviennent ainsi contemporains. Le canapé Soriana, dessiné en 1969 par Afra et Tobia Scarpa, est ainsi proposé avec un tout nouveau revêtement écologique et durable. Son moule d’origine en polyuréthane a été remplacé par une série de sacs remplis de microsphères biologiques et son rembourrage est désormais en fibre de PET recyclé.

Comment parvenir à un design durable, selon vous ?

Cela relève du temps. La durabilité et le temps sont étroitement liés. Nous devons réfléchir à des meubles dits durables, dans le sens d’un mobilier de haute qualité qui nous accompagne à travers tous les moments de notre vie. Concevoir ainsi implique une prise de conscience large : nous, humains, ne sommes pas seuls sur terre, et nous sommes tous connectés et interdépendants. Pour vivre ensemble et parvenir à cette « durabilité » et ce rapport sain avec la nature, nous devons nous écouter et partager. Mon travail se résume parfois à jouer à un jeu dont les règles sont à redéfinir : faire des recherches, expérimenter et tester des choses avec les autres… L’expérience permet de repousser les limites d’une entreprise, d’un matériau ou encore d’une technologie. Je suis chanceuse que mes associés du Studio Urquiola puissent jouer à ce jeu à mes côtés.

Sur quoi repose votre optimisme ?

Je me laisse « contaminer » par les différentes cultures qui m’entourent à mon studio, au fil de mes collaborations avec les marques de design (récemment Andreu World, Bolon et cc-tapis), et par mes rencontres en voyageant. Être en quelque sorte comme une éponge me permet de réfléchir à l’avenir et aussi d’avoir un regard posé sur le passé. J’adhère à l’expression du directeur artistique britannique Peter Saville, designer pour Kvadrat (marque avec laquelle je travaille depuis 2010) : « le continuum culturel ». Pour lui, il n’existe pas de changement total dans la culture aujourd’hui. Chaque nouveauté amène à une forme de continuation avec le passé et à une prise de conscience réfléchie et globale. En tant que directrice artistique de Cassina, je travaille à partir de plus de 100 années d’histoire et 600 pièces d’archives. Il peut être difficile de ne pas se laisser intimider par cet héritage. C’est donc par l’ouverture et le dialogue que je parviens à innover avec optimisme.

En quoi Dudet, l’une de vos dernières créations pour Cassina en 2021, résume bien votre mode de création ?

Le fauteuil Dudet est un meuble gai et une référence libre à l’inventivité telle que l’ont portée l’architecture et le design italien dans les années 1970. Ce produit a une gestuelle et un esprit synthétique. L’assise s’esquisse à partir de lignes simples, définies par trois éléments rembourrés individuels : un coussin d’assise et deux parties tubulaires qui dessinent, en ligne continue, jambes, accoudoirs et dossiers. Aussi, comme je suis toujours très attentive à la circularité des produits, la mousse du rembourrage interne de ce fauteuil peut être facilement séparée de sa structure à la fin du cycle de vie du produit.

Et Bio-mbo, qui réinvente la literie de luxe et offre des fonctions bien-être ?

Le lit Bio-mbo, conçu avec le Cassina LAB research, est pensé et conçu comme un refuge ultime. Une retraite, un lieu dans lequel nous pouvons vivre nos rêves paisiblement. La tête de lit est au cœur de ce produit. Elle est tapissée du matériau textile innovant theBreath, qui fonctionne comme un filtre anti-pollution. Celle-ci peut créer une alcôve dans une chambre et permet l’absorption du bruit tout comme la purification de l’air.

Qu’attendez du futur dans l’aménagement d’intérieur et l’ameublement ?

Des espaces de vie fluides, des lieux bien définis pour travailler et des hôtels qui ressemblent à de grandes maisons. Nous avons besoin de matériaux émotionnels et empathiques pour nous aider à nous reconnecter à nos espaces. Concevoir des surfaces et des tissus plus performants et plus intelligents pour créer un environnement sain et sûr est déjà au programme chez beaucoup d’entreprises des secteurs du design et de l’architecture. Enfin, la nature doit être incluse dans notre vie et nos espaces de vie au quotidien. Nous ne devons plus considérer la nature comme un joli décor, mais comme une partie de nous-mêmes. L’écologie doit être notre moteur.

patriciaurquiola.com